Musée Paul Valery à Sète

Chronique d'Alain Assémat

ROBERT COMBAS CHANTE GEORGES BRASSENS

Dans le cadre du centenaire Brassens, le Musée Paul Valéry accueillait l’exposition "Robert Combas chante Sète et Georges Brassens", un titre qui résume parfaitement le ton donné à cette confrontation d’artistes. Cette exposition était l'un des évènements clés organisés à l'occasion du centenaire de la naissance du chanteur français qui a vu le jour dans cette ville le 22 octobre 1921. Quoi de plus naturel que deux artistes sétois se rencontrent, sinon, "virtuellement"... à distance : « Ils ne se connaissaient pas, il y avait une génération d'écart, et Brassens est mort relativement jeune. [Il est décédé à Saint Gély du Fesc (Hérault), le 29 octobre 1981]. Combas n'a aperçu Brassens qu'une seule fois, sur un balcon. Mais le personnage l'a accompagné à plusieurs moments de sa carrière », souligne Stéphane Tarroux, le directeur du musée.

                                                                           (C) Photos  Musée Paul Valéry


Robert Combas, a toujours porté un regard bienveillant sur sa ville natale, qu’il n’a jamais oubliée, comme notre monument national de la chanson française et peut-on dire de la poésie française, tant ses mélodies convoquent une écriture éminemment poétique. Quelle heureuse rencontre entre peinture et écriture, comme le Musée Paul Valéry sait nous surprendre, depuis quelques années, par ce mélange des genres ! C’est l’occasion d’un retour nostalgique sur le chanteur et une présentation de quelques pistes colorées d’un peintre touche à tout, dont les œuvres comblent collectionneurs et spectateurs du monde entier, où nombre de musées et galeries présentent ses recherches picturales éclectiques, démultipliées et toujours recommencées.

« Robert Combas entretient une relation passionnée avec Sète et parler de Sète c'est parler de Brassens », développe le directeur du musée et commissaire de l'exposition.

Par sa peinture impertinente et débordante, Combas réinterprète graphiquement le répertoire du poète chantant. Il partage l'esprit libertaire de Brassens, son anarchisme revendiqué et son langage fleuri à travers une œuvre unique. Cette exposition reprenait aussi certains tableaux réalisés en 2000 pour l’exposition "Maï Aqui" [même là] (traduction de la rédaction) présentée à l'époque au Musée Paul Valéry, toiles qui ont Sète pour théâtre et y sont unies par un fil autobiographique très fort.

Retour nostalgique

Y a tout à l’heure quarante ans de malheur qu’il est parti au paradis de la chanson. La Camarde l’a rattrapé, sa Supplique pour être enterré à la plage de Sète a été entendue, sans que l’on sache vraiment si le croque-mort l’a conduit, à travers ciel, au Père éternel… Tous derrière, lui devant, comme le Petit Cheval blanc, il n’a pas eu les Funérailles d’antan ; toujours est-il que quarante ans après, il manquait encore…

Bien sûr, pour ma génération, la voix de Georges Brassens remonte de l’enfance, elle me renvoie au temps du poste de radio puis du "transistor" comme on disait, bien avant l’âge de me crever les yeux coquins, en regardant d’un peu trop près, comme Georges, jupons, cotillons et corsages…

Les chansons sulfureuses du "Pornographe du phonographe" ne s’entendaient que sur disques microsillons ou dans les salles qui ne cessèrent de grandir, du cabaret de Patachou au TNP du Palais de Chaillot en passant par Bobino. On ne diffusait pas le Gorille, Putain de toi ou la Mauvaise Réputation aux heures de grande écoute de la radio, moins encore sur l’unique chaîne de la télévision française. Brassens n’avait droit de cité que pour l’Auvergnat, les Amoureux des bancs publics, les Passantes,  pour chanter les poètes – Paul Fort, Antoine Pol, Théodore de Banville, Victor Hugo, Louis Aragon – et, à la rigueur – pour la Chasse aux papillons, le Parapluie et autres gentils contes tout de même, finement licencieux.

Licencieux, à bien y regarder de près, le sont aussi nombre de tableaux de Combas en hommage à son compatriote de l’île singulière, puisque c’est ainsi que l’on nomme, ici, Sète, prise en étau entre méditerranée et étang de Thau.

  (C) Photos  Musée Paul Valéry

 

 L'artiste

Le peintre Robert Combas naît le 25 mai 1957 à Lyon. Il appartient au mouvement de "la figuration libre" ; (Arts Ptt n°210 janvier 2016). En résumé, les artistes de la figuration libre prennent, à travers leurs œuvres, la "liberté" de faire "figurer" toutes formes d'art sans frontière de genre culturel et d'origine géographique, sans hiérarchie de valeurs entre haute et basse culture.

En 1961, les parents Combas s'installent à Sète. En 1966, Robert est inscrit aux ateliers pour enfants de l'école municipale des Beaux-arts de la ville, où il rencontre, en 1973, Hervé Di Rosa, créateur du MIAM (Musée International des Arts Modestes), qu’il est recommandé de visiter de passage dans la cité languedocienne (Arts Ptt n°193 septembre 2008 et n° 194 janvier 2009). 

Il entre à l'École des Beaux-arts de Montpellier en 1975. Trois ans plus tard, il réalise ses premières peintures avec des matériaux de récupération. En 1980 a lieu sa première exposition personnelle à la galerie Errata à Montpellier, et participe également à l'exposition intitulée "Après le classicisme" organisée par Bernard Ceysson au musée d'Art et d'Industrie de Saint-Etienne. En 1981 ont lieu les premières expositions personnelles à l'étranger, Düsseldorf et Amsterdam. Lors de l'exposition "2 sétois à Nice", Benjamin Vautier dit Ben, expose Robert Combas et Hervé Di Rosa et lance le terme de "Figuration Libre" pour qualifier leur travail. En 1982, se sera Paris, à la galerie Yvon Lambert, puis, l’année suivante, viendra sa première exposition personnelle à New-York à la renommée galerie Léo Castelli.

Sa carrière est lancée ; une exposition tous les ans un peu partout dans le monde, quand ce ne sont pas plusieurs la même année, tant cet artiste prolifique est montré.

Le monde de Combas en constante évolution refuse toutes références uniques, prenant le risque de rompre totalement avec les théories et pratiques de l’Art contemporain. Il vit le rythme de son temps dans une perpétuelle quête de renouvellement, posant son regard sur l’autre, semblant lui souffler : «Viens donc parler avec moi je veux te raconter la stupidité, la violence, la beauté, la haine, l’amour, le sérieux et le drôle, la logique et l’absurde qui entourent notre vie quotidienne. » (R. Combas – Extrait de : "Une saison Combas", un parcours en huit lieux différents à Aix-en-Provence et le Pays d'Aix en 2003).

Comme ses aînés, il s’approprie le réel et le réinterprète en le livrant aux savoirs et aux cultures les plus modestes. Il peint pour remplir le vide du chaos que notre monde nous inflige, constante obsession d’un artiste qui conjugue au futur sa passion de peindre, sans être obnubilé par quoi que ce soit et en particulier l’orthographe, dont il revendique les fautes dans ses écrits/peints, vrais commentaires sur ses œuvres, une des caractéristiques de son approche picturale, où se mêlent peinture, dessins, écritures, signes, rehauts colorés, dans une foison désordonnée, en apparence seulement, comme invitant le spectateur à dénouer une pelote picturale en suivant les fils dessinés. Foncièrement sincère, éthiquement irréprochable, ou presque (?), intempestif parce que passionné, parce que traversé d’une pulsion vitale qui souvent l’excède, le dérobe, tel se présente l’artiste sans peur de bousculer les codes. Combas reprend, des sujets inscrits depuis des siècles dans la culture européenne et ceci paraît l’inscrire du côté de ce que l’on pourrait appeler le "Grand Art". Il va les traiter de façon désinvolte, narquoise, irrévérencieuse, souvent parodique et avec des effets graphiques et picturaux qui relèvent de la bande dessinée, du graffiti ou d’un apparent enfantillage et ceci ne relève assurément pas du "grand art". Le caractère protéiforme, généreux, exubérant même, populaire et exigeant d’une œuvre chargée de références, de clefs, de symboles, d’histoires et de mots, d’une peinture toujours renouvelée, sensuelle mais créatrice de sens, telle est la contribution picturale de cet artiste débordant d’inventivité créatrice. Il dessine et peint comme il le fait non exclusivement pour témoigner d’une situation en sociologue ou en documentariste du quotidien, mais aussi, sinon plus, pour réinterpréter les images du passé et du présent, les images de la culture "high" particulièrement ! À bien des égards, l’irruption de Combas est ainsi un épisode récent – mais pas le dernier, en date désormais – de cette histoire, dans laquelle les cultures dites populaires ou primitives font office de contre-modèles. Ou, plus trivialement : elles empêchent de tourner en rond sur soi-même en rappelant plutôt brutalement que la création n’est pas seulement dans les mains d’un petit nombre de théoriciens et de praticiens qui s’autoproclament volontiers, seuls détenteurs du "sens de l’histoire", laquelle, comme on sait, n’en a aucun ! Ce n’est pas exagérer l’importance historique de son œuvre qu’affirmer qu’elle surgit sur une ligne de fracture ouverte au début des années 80, sur la ligne où surgissent au même moment, celles, contemporaines, de Jean-Michel Basquiat (Art Ptt 201 septembre 2011) et Keith Haring (1958-1990). La fracture n’est pas qu’artistique, loin de là, et s’interprète aussi en termes sociaux et politiques. Une expression revient souvent dans ses conversations « c’est du mal fait, bien fait ! »

C’est avec humour que le peintre annonce cette exposition en mémoire à Brassens et le catalogue qui l’accompagne comme un album hommage.

« Moi, j’ai voulu faire comme ses mots de jeux, être irrespectueux un peu pour le faire vivre beaucoup, et non pas le hisser sur un piédestal d’où il se casserait la gueule et on s’apercevrait que ce n’était que du plâtre et que les "piédestaleurs" étaient des tricheurs, comme ces bustes classiques qu’on trouve dans les magasins de souvenirs ».

Déjà en 1992, Robert Combas donnait le ton : « La plupart des dessins ou sculptures de Brassens que j’ai vus étaient figés comme si on voulait le statufier, le ligoter sans vie. Je préférerais faire 100 portraits de lui en couleur avec les moustaches vertes ou orange s’il le faut, pour le rendre humain, pour lui redonner son rythme tranquille, inimitable. J’espère que je serai compris dans mon essai de compréhension de l’œuvre d’un champion de la chanson et d’un immense pourfendeur des cons ! ».

Le visiteur retrouve les chansons/tableaux de Pauvre Martin, Le Gorille, Fernande, Brave Margot, Le Petit Cheval blanc ou encore Auprès de mon arbre, Dans l’eau de la claire fontaine, Les Amoureux des bancs publics et découvre une série inédite de portraits de Brassens peinte en 2021.

Robert Combas apprécie la dimension universelle et poétique des chansons de son compatriote, ainsi que la qualité d’engendrer l’émotion, la vitalité, la provocation, et la liberté.

« J’adore les gaillards qui se découvrent et qui font sortir leur cœur. Et c’est avec "La claire fontaine" qu’on découvre un Brassens "chair de poule", on ressent un peu comme quand on écoute La mer ou Hey Jude. Et puis y’a le Brassens poète, anarchiste, "bordéleur" qui parle toujours de sexe, mais c’est toujours de bon cœur… ». 

 

  (C) Photos  Musée Paul Valéry

Sète

Associer Sète à cet hommage est une évidence car dans Sète, il y a Georges Brassens et dans Georges Brassens il y a la poésie, la liberté, l’esprit de contradiction, l’humour décalé et parfois grossier parfaitement assumé des sétois.

« À Sète, il y a une manière de parler qui est vraiment particulière, un argot dur qu’on ne retrouve nulle part ailleurs, et c’est cette manière-là que j’ai retranscrite dans ma peinture ». Pour Brassens comme pour Combas, Sète est aussi la ville qu’il a bien fallu quitter un jour pour monter à Paris et faire sa vie. Mais, dans cet arrachement, l’un et l’autre ont trouvé l’occasion de mesurer combien les premières expériences vécues à Sète ont façonné leur sensibilité et leur rapport au monde.

Écoutons l’artiste justifier cette perception : « Parmi les choses qui nous relient Georges et moi y’a surtout le problème Sète ; moi j’ai pris conscience dans ma création de mon côté sétois, méditerranéen à Paris, en voyant les devantures écrites avec les mots de tous les pays, je me sentais plus une identité, loin de Sète. Brassens a eu des maisons en Normandie ou en Bretagne mais n’a jamais quitté Sète dans son cœur et il l’a beaucoup chantée. Je crois que c’est l’amour-haine, peut-être une passion. C’est cet exil volontaire à tous les deux qui a permis l’éclosion de la Création ».

mUsée paul valery

148 rue François Desnoyer

34200 SETE

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