Grand Palais immersif

Chronique de Marie Bueno - décembre 2023

ETERNEL MUCHA

 Exposition éternel MUCHA Grand Palais immersif ©SA  Pierre Raffanel


Depuis le 22 mars 2023 le Grand Palais immersif accueille une superbe exposition pleine de poésie, de douceur et d’émotions qui retrace le parcours d’un immense artiste européen, emblématique du XXe siècle : Alphonse Mucha, également connu sous le nom d'Alfons Mucha. Artiste prodigue et engagé qui semble avoir vécu cent vies à la fois : illustrateur virtuose, affichiste, graphiste, peintre monumental, architecte d’intérieur, décorateur et professeur d’art, surtout connu pour son style artistique distinctif, qui est devenu synonyme de l'Art Nouveau. La scénographie de cette exposition, d’une grande intelligence, nous permet une immersion exceptionnelle et époustouflante dans la vie de ce peintre.

Dès l’entrée dans une salle grande dimension, assis ou allongé sur de grands poufs, on assiste à une projection triptyque grandiose (non sans rappeler les projections de l’Atelier des lumières) : des explosions de couleurs et de formes, une bande musicale très prenante, on en prend plein les yeux et les oreilles ! Les œuvres de l’artiste se prêtent parfaitement à ce concept d’immersion. Une balade de salle en salle nous plonge dans la vie de cet artiste humaniste, son parcours, ses techniques, sans oublier la mise en perspective avec tous les artistes influencés par Mucha. Une exposition originale qui fourmille de détails utilisant des animations variées qui rendent l’interactivité pertinente, un hologramme  avec la voix originale de Mucha, le côté ludique des petits écrans qui permettent au visiteur de créer sa propre œuvre, voire de se prendre pour Mucha. Une véritable expérience sensorielle visuelle, auditive et même olfactive - une sorte de voyage à la fois intemporel et magique ! 

 

Trois portraits d’Alphonse MUCHA -  Exposition Éternel Mucha  © Mucha Trust - Grand Palais  ©2023 SA  Marie Bueno

Mucha né en pleine renaissance nationale tchèque le 24 juillet 1860 à Ivancice, en Moravie (aujourd'hui République tchèque), passionné par le dessin dès son enfance, montre un talent artistique précoce. Il a étudié à l'Académie des Beaux-Arts de Munich, en Allemagne, période où il peint des décors de théâtre avant de s'installer à Paris à 27 ans en 1887. En 1889 il poursuit ses études à l’Académie Julian et à l’Académie Colarossi. Un riche mécène l’aide le temps de sa formation mais il doit ensuite travailler comme illustrateur publicitaire pour des magazines et des journaux. Le tournant dans sa carrière : à la veille de Noël, encore peu connu, il fait un remplacement en 1894 chez l’imprimeur Lemercier et reçoit une commande urgente qui va transformer sa vie : Sarah Bernhard fait appel à lui pour l’affiche de la pièce de théâtre Gismonda. Tombant littéralement sous le charme du style original de Mucha elle signe avec lui un contrat de six ans. Elle devient sa muse et son amie proche. C’est le début du succès. Mucha devient alors l’illustrateur et dessinateur de sa génération : décors de théâtre, affiches publicitaires qui recouvrent les murs et colonnes Morris de tout Paris : Lorenzaccio, Rêverie et Automne… En 1900, tout le monde « se l’arrache », l’Art nouveau est à son apogée, Mucha devient l’artiste le plus recherché de ce style.

L’originalité de son style surprend à plusieurs égards : Sarah Bernhardt sensuelle, quasiment en grandeur nature, femme magnifiée presque idéalisée avec des tons doux et pastels qui contrastent avec les couleurs criardes et/ou éclatantes utilisées par les autres affichistes de l’époque (Jules Chéret et Toulouse-Lautrec). Le message, le texte informatif subtilement intégré dans les plis de la robe de Gismonda… il réitèrera la stylisation et les figures isolées dans de nombreuses autres affiches. Il transforme l’affiche descriptive en affiche séductrice qui capte tous les passants. L’affiche publicitaire devient un Art à part entière ! Bref, ces affiches pour le théâtre Bernhardt ont été très populaires dans toute l’Europe, ont contribué à la célébrité internationale de Mucha et ont popularisé le style de l'Art Nouveau. Des œuvres caractérisées par des femmes élégantes et gracieuses, souvent entourées de motifs floraux et organiques. L'utilisation de couleurs vives, de lignes courbes et harmonieuses et grand nombre de petits détails qui fourmillent pour créer des compositions harmonieuses et esthétiques.

À l’occasion de l’Exposition Universelle il participe à de nombreux projets. On lui confie les décors du pavillon de la Bosnie-Herzégovine où il présente La Nature, un buste en bronze orné de malachite représentant l’idéal féminin de l’époque. En 1901, la bijouterie Fouquet (rue Royale) lui commande la réalisation des décors de sa boutique parisienne (reconstituée au sein des collections permanentes du musée Carnavalet). Il collabore avec plusieurs marques comme Lefèvre-Utile (les célèbres biscuiteries Lu), les champagnes Ruinart ou Moët & Chandon ou encore des parfums de renom. Dans cette exposition, on peut admirer une série de panneaux décoratifs intitulée "Les Quatre Saisons" représentant une saison différente et une scène féminine dans un paysage correspondant. Ces œuvres sont très appréciées pour leur beauté et leur symbolisme.

En cette fin de XIXe siècle, le développement des techniques de  lithographie en couleur favorise l’essor des affiches publicitaires et donc la popularité de Mucha. Pour lui, les affiches permettent d’offrir de l’art dans les rues aux personnes qui n’ont pas les moyens d’aller dans les musées. L'exposition se concentre sur son influence permanente, du mouvement pacifiste "Flower Power", des années soixante aux mangas japonais, en passant par les super-héros, les comics, les artistes de rue et même l'art du tatouage. Son style innovant et fascinant est même transposé à de nombreuses œuvres et appliqué à divers objets qui ornent les maisons des amateurs d’art dans le monde entier !

En 1904 Mucha s’installe aux États-Unis et enseigne dans plusieurs universités. Dans le monde entier, il influence de nombreux artistes. Adulé au Japon (résonnance entre l’art de l’affiche de Mucha et la tradition de l’estampe ukiyo-e), il est aussi reconnu comme le précurseur des mangas (muchamania au Japon dès 1970). En 1910, après avoir obtenu un grand succès à Paris, Mucha revient à Prague en Tchécoslovaquie où il poursuit ses projets artistiques tout en agissant également dans le mouvement national en France.

Le "style Mucha" a fasciné les amateurs du monde entier, en tant que peintre que ce soit dans ses toiles mais aussi dans ses œuvres monumentales, comme l'Épopée slave mais aussi en tant qu'illustrateur et designer lorsqu'il s'agit de l’ornement des objets de toutes sortes, ses créations de peintures, d'illustrations, de sculptures et de bijoux, ses décorations de bouteilles de champagne, flacons de parfum...

Mucha a également réalisé des peintures qui reflétaient ses intérêts pour la spiritualité, la mythologie et la nature. Ces œuvres sont souvent caractérisées par des formes serpentines aux ancrages d’or ou d’argent et  des symboles mystiques. Il a également créé des illustrations pour des livres, des magazines et des calendriers. Il est un artiste engagé, peintre philosophe et grand humaniste qui place l’homme au centre de ses préoccupations. Il entre en 1898 au Grand Orient de France et dans l’esprit de la franc-maçonnerie qui prône « l’amélioration de l’humanité et la conscience de la liberté », il souhaite contribuer au progrès de l’humanité à travers son art. Il rêve de réaliser un projet d’envergure retraçant la mythologie slave riche de symboles, « L’Épopée slave » un ensemble de vingt tableaux qui raconte l’histoire de ces hommes du IIIe au XXe siècle et qui développe une vision de l’histoire comme modèle pacifiste du monde. En 1901 Mucha est même nommé chevalier de La Légion d’Honneur. Entre 1904 et 1909, il fera plusieurs séjours aux États-Unis pour chercher les fonds nécessaires à l’accomplissement de ce projet, c’est finalement l’industriel Charles Richard Crane qui acceptera de le financer. En 1912, il rentre dans son pays natal et se consacre à la peinture. En 1919, l’indépendance du nouvel état de Tchécoslovaquie est confirmée par le traité de Versailles. L’artiste est persuadé que l’art peut aider les peuples à s’unir et à maintenir la paix. Malheureusement à l’aube de la Seconde Guerre Mondiale, en 1938, la Tchécoslovaquie perd d’importantes régions et en 1939, l’entrée à Prague des Allemands signe la fin de l’indépendance acquise seulement vingt ans plus tôt. Mucha fait partie des premières personnalités arrêtées par la Gestapo. Peu de temps après sa libération, Mucha décède d’une pneumonie à le 14 juillet 1939 (à Prague). 

L'œuvre de Mucha est extrêmement influente et contribue à la redéfinition de l'art de l'époque. Son style unique a été largement imité et inspiré de nombreux artistes de l'Art Nouveau. Mucha a lui-même continué à travailler jusqu'à la fin de ses jours mais son travail a été quelque peu oublié après sa mort. Cependant et heureusement, dans les années 1960, il est lié à un regain d'intérêt et est de nouveau considéré.  

Éternel Mucha (grande salle immersive) © Mucha Trust - Grand Palais immersif